Ma communion solennelle
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Eh oui ! Le mécréant que je suis a fait sa communion solennelle, et je l'avoue humblement plus par intérêt que par conviction religieuse. Il faut me comprendre. Nous sommes en 1946. Il y a un an que la guerre est finie et nos parents commençaient tout doucement à remonter la pente sur le plan financier. C'est ainsi que plusieurs familles avaient décidé d'attendre des jours meilleurs pour organiser la communion solennelle de leur progéniture de 13 voire 14 ans.

À la maison, je n'étais pas élevé dans la foi chrétienne, mais je me posais beaucoup de questions, car autour de moi j'entendais parler les copains de banquets, de beaux costumes, de montres, de porte-plume réservoir. De plus, dans la famille, quelques vieilles « ma tante » superstitieuses (croix sur le pain et pèlerinage à Chèvremont) tentaient de savoir si Jeanjean ferait sa communion. Mes neurones en étaient tous titillés. Je décidais que moi aussi je pouvais participer à cette grande cérémonie de profession de foi.

Par le passé, j'avais souvent essayé de suivre le cours de religion catholique à l'école primaire de Hocheporte, le seul à être dispensé à cette époque. En effet le cours de morale laïque ainsi que d'autres cours de religion n'existaient pas encore. À chaque fois, c'était le même scénario. À chaque début d'année, je m'inscrivais au cours de religion, puis, devant l'attitude revêche de la maîtresse de religion et après quelques coloriages d'images pieuses du petit Jésus et de la Sainte Vierge, j'abandonnais pour me retrouver pratiquement seul en heure d'études.

Seulement voilà, arrivé en sixième année et désireux de faire ma communion, je fus, par la force des choses, contraint de suivre entièrement le cours de religion. De plus, je devais me rendre au catéchisme, enseigné par un vicaire de la paroisse Saint-Servais. Les leçons étaient données dans une petite salle des fêtes située dans un bâtiment jouxtant l'église.

Profession de foi à Sainte-Walburge
Profession de foi d'époque
Quartier Sainte-Walburge

Le vicaire n'était pas facile, très exigeant ; il fallait filer droit. Lorsque l'on ne savait pas réciter correctement l'acte de foi ou l'acte de contrition, la retenue après le cours était de mise. J'ai toujours été sidéré d'entendre certains de mes condisciples déclamer leurs textes à toute vitesse, sur un ton monocorde un peu comme s'ils débitaient les tables de multiplication.

Un jour que j'étais en retenue, une fois de plus, j'étais agenouillé au pied d'une estrade, sorte de petite scène. En tournant la tête vers la gauche, j'aperçois Monique à genoux et retenue également. Nous étions seuls, le vicaire était sorti. À un moment, en nous regardant et en nous souriant, nous commençâmes, par jeu, à avancer à genoux, tels des pénitents sur le parvis d'une cathédrale. Progressant chacun de notre côté, nous nous retrouvâmes face à face derrière la scène. Et là, comme si nous étions à un rendez-vous galant, nous avons échangé quelques bisous chastes sur les joues, moins chastes sur la bouche par la suite. Comme les meilleures choses doivent avoir une fin et pour ne pas être surpris par un retour inopiné du vicaire nous reprîmes en vitesse notre place de chaque côté de la scène. Bien entendu on riait sous cape de la situation assez cocasse. En effet, ne pas savoir sa leçon, être punis et se retrouver derrière la scène pour s'embrasser, il n'en fallait pas plus pour nous donner des idées pour les jours suivants.

Tant bien que mal, j'ai pu terminer mon catéchisme avec satisfaction. Mais je n'étais pas encore sorti de l'auberge pour autant. En effet, pour obtenir le droit de participer à la grande cérémonie, nous étions obligés de participer à au moins 10 messes consécutives. Comme preuve de notre présence aux offices, nous possédions une petite carte qui devait être paraphée, à chaque fin de messe, soit par le curé soit par le vicaire. Une carte de fidélité en quelque sorte. J'ai assisté à 10 messes. N'y connaissant rien, j'observais le monde autour de moi, je me levais, je m'asseyais, je m'agenouillais et je marmonnais certaines phrases que je lisais dans un vieux missel prêté par une cousine de ma mère. Jamais je n'étais à la bonne page.

On approchait du grand jour. J'avais déjà mon beau nouveau costume : pantalon golf (comme celui de Tintin) de couleur beige, des grands bas blancs et un veston marron. Étant donné le grand nombre de communiants, le brave curé avait trouvé pratique, pour se confesser, de nous faire écrire nos péchés sur un bout de papier afin d'éviter de se faire inutilement tirer les vers du nez. De plus, on risquait l'encombrement devant les confessionnaux. J'avais bien noté quelques petits mensonges à l'égard de mes parents, mais pas de quoi fouetter un chat. Mon épisode des bisous y figurait  tout en taisant l'endroit où cela s'était passé. Pieux mensonge s'il en est. Après absolution de mes « gros » péchés, j'ai donc pu participer à la célébration de la communion. À la vérité, je dois reconnaître que ce fût grandiose, festif et empreint de beaucoup de religiosité. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder ma photo officielle de petit communiant. On m'aurait donné le Bon Dieu sans confession.

Après les vêpres, nous nous sommes réunis à la maison avec quelques membres de la famille et amis afin de participer à un petit repas préparé par ma mère. Au menu : potage aux tomates, œufs farcis au pâté de foie, asperges à la crème, rosbif et croquettes de pommes de terre. Comme dessert, un superbe gâteau moka, confectionné avec du vrai beurre par la « grosse Thérèse », une compagne d'un grand-oncle. Pour moi ce fut une journée bien réussie.

Sur ma lancée, je suis encore allé quelques fois à la messe, mais, il faut bien l'avouer, sans grande passion. Sensiblement mon imprégnation dans la foi chrétienne s'est arrêtée et détournée au profit d'activités sportives. Vous me direz que l'une n'empêche pas l'autre, mais à chacun sa profession de foi.

Jean de la Marck