Mon « mononcle Louis » et ma tante Mariette, marchands de légumes ambulants
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Avant son installation définitive au marché couvert de Droixhe, le marché aux légumes était situé au centre de Liège : place Cockerill, rue Florimont et rue Matrognard. C'est en ces lieux que commençait la journée de Louis et Mariette.

Dès six heures du matin, les jours de marché, Louis rangeait son cheval « Coco » et sa charrette rue Florimont, le long des anciens bâtiments de ka glacière (fabrique de glace pour frigo). Puis après avoir mis une musette d'avoine à Coco, il s'en allait avec Mariette, sillonner le marché afin d'acheter fruits et légumes frais au meilleur prix.

Au fur et à mesure de ses achats chez les grossistes de petits « cotîs », il venait remplir sa charrette. C'était une longue charrette montée sur deux grandes roues avec une toiture zinguée supportée par six montants. Il disposait ses légumes et fruits suivant un ordre bien établi. Les caisses d'oranges et de pamplemousses à l'avant ; vers le milieu de chaque côté, il plaçait les légumes et les autres fruits, et, à l'arrière, à peu près sur un tiers de la charrette, il disposait deux ou trois variétés de pommes de terre. À l'avant, sur un côté, était installée une balance à poids avec des plateaux en cuivre. Devant la balance, bien alignés, les poids de 1 kg, 500 gr, 250 gr, 100 gr et 50 gr. Une autre balance, située à l'arrière, servait surtout à peser les patates. En effet, un récipient en forme de cône tronquée inversé pouvait contenir plusieurs kilos de pommes de terre.

Lorsque la charrette était chargée à pleins bords, Louis et Mariette s'en allaient déjeuner chez « Marraine » : lieu où se retrouvaient marchands, maraîchers et grossistes. On y mangeait soit la « fricasseye » soit un bol de soupe et même de la potée aux choix. C'était un endroit où l'on discutait ferme.

Dès 8 heures, il était temps de partir pour se rendre sur les lieux de la tournée, c'est-à-dire rue Fond Pirette et Thier Savary ainsi que la rue Jean Haust actuelle. Coco se mettait en branle et s'arc-boutant sur ses jambes arrières afin de déplacer la lourde charrette. Louis et Mariette marchaient à côté du cheval. Pas question de s'asseoir sur la charrette. Parfois, lorsque la montée était trop rude (virage de la rue de l'Académie et de la place Hocheporte), il était nécessaire de donner un petit coup de pouce à Coco.

Arrivés au début de la rue Fond Pirette, la vente pouvait commencer. Chacun avait en bandoulière une sacoche à compartiments pour y mettre l'argent. La plupart du temps, les légumes étaient enveloppés dans du papier journal. Pour les fruits délicats tels cerises, fraises et pêches, il y avait de petits sachets en papier. Pour les pommes de terre, les ménagères se présentaient munies d'un sac de toile, d'un filet ou d'un cabas (paille tressée).

Louis était un sacré vendeur. Il avait l'art de bonimenter sur ses produits. C'était toujours la belle qualité et la fraîcheur qui primaient. Après la pesée, cela se terminait toujours par un « bien servie ».

Un jour, je m'en souviens – car il m'arrivait quelques fois de remplacer la tante (j'avais alors 13 ans) – mon oncle vantait le juteux et le sucré de ses pamplemousses de Floride vendus sous l'étiquette de « Blue goose » (oie bleue). Sans doute à bout d'arguments, il lança à la cliente : « Vous savez, ce sont des Blue goose ». « Oh ! » dit la dame : « Si ce sont des Blue goose, cela doit être bien ».

Louis n'avait pas besoin d'avertir de son passage. Au fur et à mesure qu'il avançait, les ménagères sortaient comme par enchantement des maisons. Louis et Mariette avaient leurs clientes attitrées. Au grand dam de Mariette, Louis aimait bien de tailler de petites bavettes avec certaines clientes. Louis rattrapait son retard en revenant tout guilleret et en sifflotant comme si de rien n'était.

Il avait, au Thier Savary, une fidèle cliente qui ne voulait que Louis pour la servir. C'était une dame d'origine italienne. Elle habitait une maison dont la cuisine se trouvait dans ce que l'on appelle une cuisine-cave. C'est-à-dire que la fenêtre était au niveau du trottoir. Louis lui amenait ses commandes par la fenêtre, s'asseyait et écoutait cette dame lui vanter les vertus de la cuisine italienne. Il est vrai que de sa cuisine exhalaient des senteurs incomparables. Elle lui faisait goûter ses préparations. Louis était aux anges, Mariette pas. Après ce petit intermède, la tournée reprenait son cours.

On arrivait en fin de journée, Louis faisait un petit inventaire des invendus. Lorsqu'il lui restait un peu de marchandises, il se rendait chez « Benoît », petite épicerie située au coin de la rue du Limbourg et de la rue Jean Riga. Là, Benoît lui rachetait à bon prix une partie des invendus. Après ce petit échange commercial, il était temps de renter. Coco, réglé comme une horloge, sentait déjà la litière de son écurie. Et, c'est au trip galop, la charrette cahotant dans tous les sens, que la journée bien remplie se terminait pour tous les acteurs.

Jean de la Marck

Couverture de la brochure Sainte-Walburge et environs au XXe siècle - Souvenirs d'habitants

Paru en brochure

Ce récit a été publié au sein de la brochure Sainte-Walburge et environs au XXe siècle - Souvenirs d'habitants en page 69.