Dans les entrailles de la Citadelle
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La Citadelle, bien avant sa démolition et la construction d'un hôpital, a toujours exercé sur nous, les galapiats du coin, un attrait considérable. Pensez donc, nous avions devant les yeux un terrain de jeu extraordinaire, certes dangereux, mais combien fascinant. Fossés, casemates, redoutes, autant de lieux empreints d'histoire pour faire travailler notre imagination afin de pratiquer toutes sortes de jeux, des plus innocents aux plus dangereux.

Un jour que nous errions, en quête d'un bon ou mauvais coup, sur les terrains situés actuellement à l'emplacement des parkings pour voitures, juste derrière l'hôpital, nous découvrons une salle, ressemblant à un corps de garde d'une des nombreuses redoutes faisant partie des anciennes défenses et fortifications de la Citadelle. Cette redoute de forme carrée était constituée vraisemblablement d'un corps de garde et d'un couloir percé de meurtrières, couvrant tout le long du périmètre. Elle disparaissait sous la terre, suite à de nombreux remblayages. Excepté le corps de garde, rien n'était visible de l'extérieur. Bref, un mystère pour nous. Afin de satisfaire notre curiosité, nous entrons dans la salle, dans laquelle régnait une certaine obscurité et en avançant vers le fond, nous découvrons à gauche et à droite des entrées de couloirs. Nous nous apercevons que ces entrées de couloirs ont été récemment condamnées au moyen de murs en brique. Toutefois, en avançant de plus belle et en nous penchant, nous constatons que des deux côtes, on a pratiqué des ouvertures suffisamment grandes pour permettre le passage d'un homme. En y passant notre tête pour voir de plus près, nous ressentons un violent courant d'air chargé d'humidité. De plus il y fait noir comme dans un « four ». À ce stade-là, sans lumière, pas question de pousser plus loin nos investigations. C'est décidé, demain nous reviendrons avec des lampes de poche. Effectivement, le lendemain nous sommes tous présents, munis de 2 à 3 lampes de poche. Prêts à satisfaire notre curiosité et pour tout dire, nous avions un peu la « pepete ». Enfin, nous nous scindons en deux groupes, l'un prend le couloir de gauche et l'autre le couloir de droite.

Alea jacta es, nous nous enfonçons dans le noir, vers l'inconnu. D'emblée, nous sommes pris par ce courant d'air chargé d'humidité et sentant le moisi. Nous crapahutons tant bien que mal sur un sol glissant. Nous nous tenons comme nous pouvons, soit par la main, soit par une main sur l'épaule de celui qui précède, soit en tenant un pan de veste. Nous avons l'impression d'être dans la maison hantée de la foire d'octobre. On s'attend à tout moment à voir surgir un squelette grimaçant ou toute autre créature infernale. Malgré la lampe de poche, il ne fait pas très clair. En passant la main sur le mur pour nous guider, nous sentons le trou d'une meurtrière pleine de toiles d'araignées. Tant bien que mal, nous avançons en tenant à l'œil le gaillard de tête qui ouvre la voie et qui ressemble à une ouvreuse de cinéma Forum, cherchant une place assise pour un spectateur.

Tout à coup ! Stop ! Arrêt ! Nous nous trouvons sur le dessus d'un escalier. Nous descendons quelques marches. Stop ! Il y a de l'eau. Pas moyen de continuer. Au pied des escaliers, il y a un couloir qui débouche sur notre droite. Il est sous eau. Nous tendons le cou pour y voir quelque chose. Le trait lumineux de notre lampe de poche balaye la surface d'une eau calme, limpide. Nous frissonnons, est-ce la peur ou le froid humide ! Le spectacle a quelque chose d'irréel. Tout à coup, nous nous figeons. Plus un mot, on écoute. Quelqu'un dit : « Avez-vous entendu ? ». On dirait des bruits de voix. Certes lointain, mais tout de même, dans cet endroit inhospitalier, cela résonne d'une façon étrange. Nous avons les chocottes. De plus dans le fond du couloir, sous eau, nous apercevons quelques lueurs furtives. Là, croyez-moi, c'est trop ! Nous stoppons nos investigations et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire nous rebroussons chemin en prenant la poudre d'escampette. Haletants, le teint blême, nous débouchons dans le corps de garde, heureux de retrouver la lumière et un environnement plus rassurant. Revenus d'une dizaine de minutes, nous voyons apparaître l'autre groupe, aussi haletant et blême que nous. Ouftit qu'éne affaire ! Eux aussi avaient entendu des voix et vu des lueurs.

Revenus de nos émotions, nous avons réfléchi aux phénomènes observés et constaté qu'en fait il n'y avait pas deux couloirs, mais un seul qui courrait tout le long du périmètre de la redoute avec une partie basse, sous eau.

S'il n'y avait pas eu d'eau dans le fond de la redoute, les deux groupes se seraient rencontrés. Enfin … peut-être ! Les bruits de voix et les lueurs furtives sont quand même restés gravés dans nos mémoires de galapiats. 

Jean de la Marck

Couverture de la brochure Sainte-Walburge et environs au XXe siècle - Cent ans de vie quotidienne

Paru en brochure

Ce récit a été publié au sein de la brochure Sainte-Walburge et environs au XXe siècle - Cent ans de vie quotidienne en page 66.