Les balayeuses de rue
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Pour le nettoyage de nos rues, nous bénéficions de tout un équipement hautement sophistiqué. Pensez donc : petits camions équipés de brosses circulaires raclant le sol avec projection d'eau en sus, petits engins munis de tuyaux pour aspirer les déjections canines et autres saletés, camion citernes destinés à désobstruer  les bouches d'égouts. Tout cela est très bien sauf que, mis à part le centre ville, on ne voit guère évoluer ces engins dans les rues de notre quartier.

Avant 1950, la propreté des rues était confiée à des balayeuses de rues. Chaque division de voirie de l'époque comptait en son sein, son propre « corps de balais ». Il était composé essentiellement de femmes courageuses, robustes et dures à la tâche. Il fallait les voir circuler journellement dans nos rues. Elles poussaient une curieuse petite charrette montée sur deux grandes roues en bois, cerclées de fer, munies en son centre d'un récipient cylindrique, genre tonneau, fixé sur un axe permettant le basculement des détritus après nettoyage.

Nos balayeuses étaient vêtues d'une longue robe descendant jusqu'aux chevilles et protégée par un tablier. Elles chaussaient des sabots de bois. Munies d'un grand balais, composé d'un long manche auquel était fixé un faisceau de branchettes, elles effectuaient un énorme travail de curage. Il est vrai qu'à l'époque les rues étaient toutes pavées. Très peu étaient asphaltées. De plus, la traction chevaline était importante et les rues étaient constamment souillées par les déjections chevalines sans compter celles de la gente canine. Il y avait également d'autres dépôts tels que les déchets de légumes laissés sur place par les marchands de quatre saisons ou des dégoulinades noirâtres provenant des charrettes transportant du charbon.

Elles raclaient le sol à grands coups de balai pour amener les « crasses » vers la rigole où, là, avec une grande ramassette, elles les récupéraient pour ensuite les déposer dans le récipient cylindrique de leur charrette.

Les balayeuses de rues faisaient partie de notre quotidien, on les connaissait et elles nous reconnaissaient. Pittoresques et natures à souhait, elles étaient de vraies spécialistes de l'entretien des rues. De plus, elles n'avaient pas leur langue en poche pour vous lancer des quolibets au cas ou vous auriez eu un regard moqueur. Natures sans gènes et sans façons elles l'étaient assurément. Une anecdote pour illustrer ces propos : « Figurez-vous qu'un jour en revenant de l'école primaire Hocheporte où j'était élève, je montais la Montagne Sainte Walburge afin de regagner mon domicile. Au loin, j'aperçois une de nos braves balayeuses toute occupée à son travail. Soudain, elle s'arrête, pivote et se place à califourchon au dessus d'une bouche d'égout. Et là, en m'approchant davantage, qu'elle ne fut pas ma stupéfaction de voir qu'elle faisait « pipi ». Rouge de confusion et ne sachant où regarder, je passe à côté d'elle et soudain elle m'apostrophe d'un air goguenard en disant : « Ca fé dé bin quand on-s-a håse hein m'fi ». Sans oser me retourner, je continue mon chemin, gêné mais riant sous cape ».

Maintenant, si on veut des rues « nickels », on organise ponctuellement des opération « tornades blanches » auxquelles participent, bénévolement les habitants sous l'égide des services publiques de la propreté et de l'environnement avec fourniture gratuite du matériel : brosses, ramassettes et sacs poubelles. Manquent à l'appel les petites charrettes de nos balayeuses de rues… 

Jean de la Marck

Couverture de la brochure Sainte-Walburge et environs au XXe siècle - Cent ans de vie quotidienne

Paru en brochure

Ce récit a été publié au sein de la brochure Sainte-Walburge et environs au XXe siècle - Cent ans de vie quotidienne en page 17.